Comment l’aubergine est devenue asiatique. Une histoire de génomes, d’éléphants et d'impalas…
C’est dans le cadre de cette étude que les chercheurs ont séquencé le génome chloroplastique de l’aubergine et de 22 espèces directement apparentées à l’aubergine. En comparant ces génomes entre eux, ils espéraient élucider l’histoire évolutive du groupe de l’aubergine. Cette équipe de recherche a obtenu une hypothèse évolutive solide et a montré comment deux lignées distinctes ont émergé ; l’une comprend un groupe d’espèces Africaines et l’autre l’espèce sauvage à partir de laquelle l’aubergine a été domestiquée…
« Presque toutes les espèces du groupe de l’aubergine habitent des savanes de basse altitude ainsi que des milieux plus ou moins arides ; plusieurs sont répandues sur une grande partie du continent africain. Nos résultats suggèrent que la zone de répartition du groupe s’est considérablement agrandie durant les deux derniers millions d’années. » indique Xavier Aubriot, premier auteur de cette étude.
L’histoire de l’aubergine commence seulement à prendre forme…
L’aubergine (Solanum melongena) est une espèce qui fait partie du genre ‘géant’ Solanum (environ 1400 espèces) au sein de la famille des Solanacées. Ce genre comporte notamment deux autres espèces d’intérêt économique majeur, la tomate et la pomme de terre. Mais contrairement à ces deux dernières espèces, l’aubergine n’est pas originaire des Amériques mais d’Asie. Les archives chinoises et indiennes ainsi que les données génétiques ont montré que l’aubergine a été domestiquée quelque-part dans la région du sud de la Chine et du nord de l’Inde. Ce n’est que récemment que les biologistes spécialisés dans la description de la biodiversité, les taxonomistes, ont identifié les espèces sauvages apparentées à l’aubergine. De façon surprenante, la plupart de ces espèces habitent les savanes africaines.
« Comprendre l’histoire évolutive d’un groupe d’organisme nécessite de longues heures d’études des collections muséales, telles que celles conservées au Muséum d’histoire naturelle de Londres » insiste Sandra Knapp du Natural History Museum, « Résoudre l’identité des espèces sauvages permet de déterminer quelle sont leurs zones de répartition ; ceci nous fournit des outils pour essayer de mieux comprendre comment les groupes d’êtres vivants se sont diversifiés. »
L’équipe de recherche a montré que le groupe contenant l’aubergine s’est diversifié il y a environ 2 million d’années, depuis le nord-est de l’Afrique. Ce groupe s’est ensuite répandu vers l’est, jusqu’en Asie tropicale, ainsi que vers le sud-ouest et l’ouest africain. En Asie tropicale, la dispersion du groupe a donné naissance à une espèce que les scientifiques nomment Solanum insanum. C’est à partir de population de cette espèce sauvage que l’aubergine a plus tard été domestiquée. Ce qui a vraiment marqué les scientifiques, c’est que cette dispersion vers l’Asie semble résulter d’un unique évènement de dispersion depuis le nord-est de l’Afrique plutôt que d’une expansion linéaire et graduelle vers l’Asie.
Fig. 1 . Phylogénie et biogéographie du groupe de l'aubergine basées sur le séquençage du génome chloroplastique
A la recherche des ‘graines du succès’ – éléphants et savanes
Certaines des espèces sauvages africaines apparentées à l’aubergine présentent de très larges zones de répartition. Ainsi, Solanum campylacanthum occupe toutes les savanes de la portion est du continent Africain, depuis le Kenya jusqu’à l’Afrique du Sud. Les scientifiques se sont alors demandés si cela pouvait avoir un lien avec le mode de dispersion des graines. Or l’on connait de façon sûre deux animaux qui dispersent les graines de ces espèces ; deux grands habitants des savanes africaines qui présentent des zones de répartition historiques couvrant l’ensemble de l’Afrique tropicale : l’impala et l’éléphant d’Afrique. Ces deux mammifères de savane consomment les fruits, dispersent les graines et ont donc probablement contribué à la dispersion du groupe en Afrique. Si les populations d’éléphants ne cessent de décliner en raison des activités humaines, les populations d’espèces sauvages apparentées à l’aubergine pourraient en pâtir. « Si nous voulons conserver des ressources génétiques pour les futures recherches sur l’aubergine, nous devons protéger les populations d’éléphants d’Afrique restantes. » ajoute Péter Poczai, chercheur à l’Université d’Helsinki.
Fig. 2 . Illustration de la répartition des espèces d'aubergines en Afrique en lien avec deux espèces de mammifères qui dispersent les graines, l'éléphant d'Afrique et l'impala
« Cette étude est en fait une première étape vers des recherche plus approfondies » résume Xavier Aubriot. « De nombreuses questions importantes restent sans réponses… Comment le groupe de l’aubergine a-t-il atteint l’Asie tropicale ? Y a-t-il eu des interactions entre nos lointains cousins et les espèces sauvages apparentées à l’aubergine ? Quels sont les facteurs qui entrèrent en jeu dans le processus de domestication de l’aubergine ? Nous travaillons maintenant à l’augmentation de l’échantillonnage d’étude et à l’obtention de nouvelles sources de données afin de sortir encore un peu plus de l’ombre l’histoire complexe et fascinante de l’aubergine. »
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