Une nouvelle approche des rivières : prospective à 50 ans au croisement des dynamiques naturelles et anthropiques
Dans le cadre des 80 ans du CNRS, la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires (MITI) vient d’annoncer en mars 2019 les 80 lauréats de l’appel à projet 80|Prime destiné à soutenir et renforcer l’interdisciplinarité entre instituts du CNRS. Le projet porté par Laurent Longuevergne (chercheur à Géosciences Rennes, INSU) et Véronique Van Tilbeurgh (ESO Rennes, INSHS, professeure à l’université de Rennes 2) a été retenu.
Rivières 2070 propose une nouvelle vision des rivières par une approche intégrée de leurs dynamiques naturelles et anthropiques, considérant le lien indissociable entre l’évolution de nos rivières et la question des ressources en eau, notamment dans la perspective des changements climatiques à venir. Il est ainsi nécessaire de repenser les systèmes de gestion de la ressource en eau et de co-construire avec les différents acteurs des outils d’adaptation partagés. Rivière2070 a donc pour ambition de développer des expériences numériques pour représenter virtuellement les futurs probables des paysages usuels (notamment rivière et ripisylve) tels qu’ils sont décrits dans des simulations de transfert d’eau.
Les objectifs sont doubles :
(1) définir si les politiques et outils de gestion de la ressource en eau restent pérennes avec la variabilité climatique et les attentes des populations ;
(2) scénariser les changements pour que les acteurs (scientifiques, politiques, gestionnaires de l’eau au sens large, citoyens) puissent partager leurs connaissances, se projeter et réagir dans la perspective de prise de décisions. Il s’agit donc ainsi de poser les premières briques de la réalité virtuelle comme outils de la gouvernance environnementale, voire « d’intelligence environnementale » collective.
Un projet expérimental qui couple virtuel et réalité, données qualitatives et quantitatives, facteurs physiques et sociaux
L’enjeu du projet Rivières2070 réside dans le couplage des formes de modélisation issues de plusieurs disciplines, allant des sciences physiques et naturelles aux sciences sociales. Les connaissances scientifiques mobilisées dans ces expériences numériques de scénarisation s’appuient sur notre compréhension des contrôles climatiques, écologiques et socio-économiques, qu'il faut ensuite intégrer dans des modèles numériques représentant les divers chemins de l'eau connectant versant, aquifère et rivière. Il s’agit notamment de créer une base de connaissance virtuelle des ouvrages et de tester leurs sensibilités aux pressions climatiques et la résilience qu’ils offrent. Ces scénarisations scientifiques ambitionnent d’intégrer et donc de s’enrichir par les connaissances des autres parties-prenantes afin d’enraciner les simulations prédictives dans les expériences sensibles et inductives des milieux et dans les territoires.
Si ces approches de modélisation intégrant l’ensemble des aspects de la gouvernance se développent à l’échelle globale (on pense notamment aux travaux du GIEC), l’originalité de ce projet s’appuie sur l’ancrage au plus près des sociétés locales, de leurs intérêts, de leurs relations aux milieux et sur la représentation de l’avenir des paysages usuels tels qu’ils seront décrits dans les simulations numériques (notamment rivière et ripisylve). Ainsi, les simulations réalisées seront « fondues » dans des données 3D de haute résolution spatiale qui permettent de décrire les paysages avec un réalisme inégalé (voir les illustrations ci-dessous).
Ces paysages numériques virtuels évolueront avec les simulations pour représenter l’impact probable des politiques de gestion sous contrainte climatique (évènements extrêmes sur les débits, éventuellement de stress hydrique sur la végétation etc.). Pour ce faire, les scientifiques s’appuieront sur le lidar topo-bathymétrique Nantes-Rennes, outil spécialisé dans la numérisation de tous les éléments constitutifs des corridors fluviaux (sol, bathymétrie végétation, connectivité hydraulique, infrastructures…). Ces nouveaux outils de scénarisation des avenirs probables permettront de réduire l’incertitude de la décision (politique, de gestion) tout en conservant, en partie, la complexité des enjeux qu’elle soulève. Pour cela, une attention particulière sera portée à la prise en compte des éventuelles tensions que les décisions créeront en termes de conflits d’usage et de choix politiques.
Le contexte breton est un laboratoire intéressant à plusieurs titres
D’une part, le contexte géologique cristallin hétérogène (du massif armoricain) ne favorise ni l’accès à la ressource, ni le stockage d’eau sur de longues périodes, ce qui implique
(1) un système d’alimentation qui s’appuie essentiellement sur des prélèvements dans les eaux de surface, qui deviendront risqués, et l’ambition de développer des sources d’approvisionnement alternatives, telles que les ressources souterraines
(2) des arrêtés réguliers pour inondation et sécheresse (hivernales et estivales).
D’autre part, la Bretagne est une région dynamique qui voit sa population augmenter plus rapidement qu’à l’échelle nationale avec un attrait particulier pour les zones côtières. Ainsi, la pression anthropique peut devenir équivalente aux débits minimums réservés pour les écosystèmes. La Bretagne est en outre une région ou les problèmes de gestion de l’eau se posent avec beaucoup d’acuité, depuis les années 1990 en particulier, en raison en partie de la prégnance du débat sur la dégradation de la qualité de l’eau de surface, donnant lieu à de nombreux conflits dans l’espace public et engageant des visions de l’avenir très différentes. Enfin, depuis 2018 la Région Bretagne est la première, en France, à se voir confier, par décret ministériel, le rôle d’animation et coordination en matière de politiques de l'eau.
Dans cette optique, les scientifiques de l’OSUR peuvent s’appuyer sur l’ancrage local fort de la ZA Armorique et de l’observatoire de Ploemeur pour définir les transitions socio-écologiques. Le modèle, quant à lui, sera mis en oeuvre prioritairement sur les observatoires gérés par l’OSUR, la Zone Atelier, mais également sur le SAGE du Scorff, où des tensions se cristallisent autour du projet de mise en pompage sur le site de Guidel (associé à l’observatoire de Ploemeur), situé à 2 km de la mer en amont d’une zone Natura2000, qui aura certainement un impact localement important.
Implication des équipes et la contribution des participants : un projet fédérateur pour l’OSUR et ses partenaires
Rivières2070 est porté par des chercheurs reconnus en sciences de l'environnement et en sciences humaines et sociales en partenariat avec des jeunes chercheurs (Mélanie Congretel de ESO Rennes et Joris Heyman de Géosciences Rennes). Il s'appuie sur les compétences et ressources de l'OSUR et de ses partenaires sur les questions de paysage, de la modélisation des écoulements (Laurent Longuevergne et Olivier Bour de Géosciences Rennes), l’imagerie lidar topo-bathymétrique (Dimitri Lague de Géosciences Rennes) et l’imagerie par drone (Thomas Houet du LETG-Rennes), de géomorphologie et de processus en rivière (Simon Dufour du LETG-Rennes, Alain Crave et Joris Heyman de Géosciences Rennes), les relations entre quantité d’eau et écologie (Christophe Piscart d’ECOBIO). Il utilisera et contribuera aux observatoires et zones ateliers portés par l'observatoire (ZA Armorique et l’observatoire de Ploemeur (SNO H+). La Plateforme de modélisation hydrogéologique nationale AquiFR, pour lequel l’OSUR est partenaire sera sollicitée pour les simulations des climats actuels et futurs.
Partenaire de l’OSUR, l’UMR ESO est mobilisée à travers ses chercheurs, géographes et sociologues, qui possèdent une pratique de recherche concernant, soit directement la gestion des ressources en eau, soit l’analyse de l’hybridation et de la traduction des savoirs (Véronique van Tilbeurgh et Mélanie Congretel).
Le projet s’appuie également sur l’ancrage local et la qualité des observations long-termes et thématiques disponibles sur les observatoires et différents projets d’envergure sur le terrain qui font intervenir scientifiques et acteurs (e.g. BERCEAU, avec le transfert de compétence pour le suivi de restauration des cours d’eau). Le CRESEB, Centre de ressources et d'expertise scientifique sur l'eau de Bretagne, structure régionale qui favorise les interactions entre les acteurs de l’eau (dont les scientifiques), est également impliqué dans le projet. Les capacités de modélisation des systèmes naturels développées depuis plusieurs années à Rennes auront une place centrale. Citons par exemple Floodos ou les approches couplées surface-profond (avec les thèses de Jean Marçais et Luca Guillaumot).
Pour en savoir plus
>>> Depuis 80 ans, nos connaissances bâtissent de nouveaux mondes : le tour du CNRS en 80 jours >>>
Contact OSUR
Laurent Longuevergne (Géosciences Rennes) / @
Véronique van Tilbeurgh (ESO-Rennes) / @
Alain-Hervé Le Gall (multiCOM OSUR) / @